TEXTE PAR ISABELLE DE MAISON ROUGE

TROUBLE D’IDENTITÉ

Photographie de famille /// Photographie populaire ///Photographie d’amateur

Photographie d’archive /// Photographie anonyme /// Photographie vernaculaire

Apparue dans la première moitié du XIX° siècle la photographie fut longtemps l’apanage des classes aisées qui venaient se faire tirer le portrait et entretenir la posture de leur lignée dans un studio prestigieux. Cette technique mécanique au milieu du même siècle, pu toucher un plus large public et se démocratiser. La propagation des appareils plus légers et facilement transportables a favorisé le développement de la photographie de masse accessible et pratiquée par tous dans les années 1950.

Le caractère des images anonymes se distingue par le fait qu’elle privilégie la pose du personnage. Celui-ci ainsi portraituré s’en trouve souvent un peu emprunté, figé, gêné par l’objectif, le temps de pause et l’œil du photographe rivé sur lui. Parfois c’est le contraire qui se produit, à un moment où l’image dérape sans plus aucun contrôle, la personne est surprise en plein mouvement qui échappe à la volonté du photographe par un flou qui n’a rien d’artistique.

Il est évident que le but de la photographie de famille est de garder un souvenir de l’être photographié et rendre reconnaissable le personnage qui se retrouve fixé pour l’éternité. Négligeant souvent les qualités techniques ou esthétiques de son médium, le photographe amateur ou de studio de portrait officiel ne s’applique qu’à rechercher la vérité des traits de l’individu qui passe devant son appareil en l’immortalisant par un cliché. Il s’agit de garder en mémoire un instant important ou heureux, une personnalité dont on souhaite conserver l’effigie. Ces « arrêts sur images » ont pour fonction d’enregistrer une chronique familiale ou un groupe social défini et elles en reflètent l’intimité.

Or souvent ces photographies disparaissent et reviennent par des chemins mystérieux dans des lieux où elles n’ont aucune raison de prendre place : cartons de déménagement, fonds de tiroirs, trottoirs de rues, poubellesou encore étals de marchands aux puces. Sortis de leurs contextes ces instantanés vont perdre leur particularité mais surtout les identités des humains photographiés s’en trouvent oubliées. « Quelqu’un a dit on meurt deux fois. On meurt quand on meurt et on meurt une deuxième fois quand on trouve votre photo et que plus personne ne sait de qui il s’agit… » dit Christian Boltanski.

Par leur nature ces images, à leur origine, ont constitué des ensembles chronologiques dans des albums de famille. Pourtant par le biais du hasard elles se sont retrouvées éparpillées, le corps familial ayant été morcelé. Trouvées, achetées, récoltées, assemblées, ces visages sans noms, ces personnalités en berne se retrouvent – par l’intervention de nombreux artistes depuis les années 1960 – sortis de l’oubli et démarrent une nouvelle existence. Démembrés, les anciens groupes sont reformés de la manière la plus disparate dans le souci qu’a l’artiste qui les réunit de leur trouver une nouvelle place. Parfois, à l’inverse, il les isole et donne d’eux la représentation d’une solitude accrue. Le personnage se retrouve donc doublement coupé des siens, de ses racines, de ce qui constitue son individualité et se voit parachuté d’une façon déterminée et arbitraire dans un tout autre univers. Voyageant dans le temps comme dans l’histoire il entre alors dans la fiction.

Par cette démarche particulière et inédite il se voit bousculé en tant qu’individu, jusqu’à en perdre la notion d’identité, il n’est plus que pantin obéissant à la fantaisie d’un auteur